Dans les résultats d’une étude publiée en octobre 2020, une équipe internationale de chercheurs révèle que l’utilisation à titre préventif des médicaments destinés à soigner le paludisme réduit de moitié les risques de paludisme et d’anémie chez les enfants de 5 à 15 ans.
L’étude en question a consisté en une méta-analyse qui a passé en revue 628 études réalisées entre 1990 et 2018 pour déboucher sur la combinaison des résultats des 11 études cliniques retenues avec les données recueillies auprès d’un échantillon de 15 658 écoliers de sept pays d’Afrique subsaharienne qui ont été suivis pendant en moyenne 43 semaines.
Dans une interview accordée à SciDev.Net, Lauren Cohee, enseignante-chercheure à l’École de médecine de l’université du Maryland (Etats-Unis) et auteure principale de ces travaux, souligne que les médicaments utilisés pour le traitement dans ces études sont tous des médicaments approuvés pour le traitement du paludisme.
« En les utilisant comme traitement préventif, ils éliminent les infections qui existent au moment du traitement, mais peuvent également prévenir l’infection pendant un certain temps après le traitement », affirme-t-elle.
“Il est grand temps que nous utilisions cette étude pour rédiger de nouvelles notes d’orientation, éduquer nos parlementaires à ce sujet et laisser les décideurs reconnaître les mérites de l’étude afin qu’ils puissent travailler à l’élaboration de politiques”
Wilfred F. Mbacham, université de Yaoundé I
L’article paru le 22 octobre dans The Lancet Global Health précise que les types de traitement les plus efficaces au cours de cette étude étaient les associations thérapeutiques à base d’artémisinine (ACT) ou la sulfadoxine-pyriméthamine associée à une aminoquinoléine (SPAQ).
Ses auteurs soulignent d’ailleurs que « les décideurs politiques et les gestionnaires de programmes devraient envisager un traitement préventif du paludisme pour protéger ce groupe d’âge et faire progresser l’objectif d’élimination du paludisme, tout en évaluant ces avantages par rapport aux risques potentiels de la chimioprévention[1] ».
David Schellenberg, conseiller scientifique au Programme mondial de lutte contre le paludisme, se félicite de la pertinence et de la fiabilité de cette étude et de la « rigueur » de la démarche des chercheurs. « Nous avons ainsi des preuves solides que cette utilisation des médicaments peut apporter des bénéfices dans le court terme pour les enfants ».
Toutefois, il se veut prudent : « nous savons aussi que sur le long terme, cette utilisation pourrait entraîner le développement d’une résistance à ces médicaments. Car, si nous voulons protéger les médicaments, la meilleure chose à faire est de ne pas les utiliser ».
Une crainte que ne partage pas Wilfred F. Mbacham, professeur de biotechnologie de la santé publique à l’université de Yaoundé I au Cameroun et directeur executif adjoint de la Cameroon Coalition Against Malaria (CCAM). Pour celui-ci, tout dépend de la manière dont le médicament est administré.
Complémentarité
« Si on prend le traitement une fois par semaine ou une fois par mois, il y a une très faible dose de médicaments qui entre dans l’organisme et c’est cela qui entraîne la résistance », explique l’universitaire.
« Or, dans la chimioprévention telle qu’elle a été réalisée dans l’étude, il s’agit d’un traitement complet. C’est-à-dire qu’on donne le médicament au patient comme s’il était malade et pour le nombre de jours requis, soit au minimum trois jours. Dans ce cas, il est difficile d’avoir de la résistance », poursuit-il.
Par ailleurs, selon les explications de Wilfred F. Mbacham, la mise en place d’une complémentarité entre les deux combinaisons thérapeutiques que sont l’Artemether-Lumefantrine (un ACT) et SPAQ est une autre barrière contre la résistance aux antipaludiques.
Ainsi, dans une région donnée, explique-t-il, « lorsque SPAQ est administré en tant que chimioprévention, il est déconseillé d’utiliser l’un de ses dérivés comme traitement. C’est plutôt l’Artemether-Lumefantrine qui doit être utilisé pour le traitement. De cette manière, on met en place le multiple first line (MFL) therapy[2] qui ralentit toute augmentation de la résistance aux médicaments antipaludiques ».
Mais, l’étude soulève une autre problématique : « Nous savons que les élèves souffrent beaucoup de paludisme et d’anémie. Mais, ils ne sont pas aussi susceptibles d’avoir le paludisme sévère ou de mourir de paludisme que les enfants plus jeunes ou les femmes enceintes », affirme David Schellenberg.
Ecoles
A cette observation, Lauren Cohee répond en disant que « nous nous sommes concentrés sur les enfants d’âge scolaire parce qu’ils ont la prévalence la plus élevée de paludisme dans de nombreux contextes d’endémie, ils sont sous-représentés dans la recherche médicale et ils sont potentiellement accessibles, parce que les interventions sont réalisées dans les écoles ».
« Nous avons fait de grands progrès dans la réalisation des objectifs de développement du millénaire qui consistent à améliorer la santé des nourrissons et des enfants de moins de 5 ans et à inscrire beaucoup plus d’enfants à l’école. Nous devons maintenant améliorer la santé des populations d’âge scolaire afin qu’elles puissent devenir des apprenants efficaces et réaliser leur plein potentiel », ajoute l’universitaire américaine.
Wilfred F. Mbacham en profite pour rappeler que le paludisme affecte les performances cognitives des enfants et l’élimination de l’insecte vecteur améliore le rendement scolaire.
Dès lors, dit-il, « il est grand temps que nous utilisions cette étude pour rédiger de nouvelles notes d’orientation, éduquer nos parlementaires à ce sujet et laisser les décideurs reconnaître les mérites de l’étude afin qu’ils puissent travailler à l’élaboration de politiques. Il faudrait que nous mobilisions des ressources pour mettre en œuvre l’étude ».
Et David Schellenberg d’orienter : « Si je suis responsable du programme de lutte contre le paludisme, j’aurai à décider quelles sont mes priorités. S’il y a assez d’argent, je fournirais les médicaments contre le paludisme aux élèves ; mais, je m’assurerais avant tout que les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes ont déjà tout ce dont ils ont besoin pour se protéger contre le paludisme ».
Car, insiste cet expert, ces deux catégories regroupent les personnes qui courent le plus le risque de contracter le paludisme sévère et d’en mourir.
Références
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